Le volcanisme de la chaîne des Puys a offert à Vichy de nombreuses sources et transformé la cité du sud de l’Allier en station de villégiature très prisée, collectionnant les styles architecturaux à partir du Second Empire. Vichy invite à de nombreuses promenades. Nous l’avons visitée sous le signe de l’Art déco, l’occasion de redécouvrir son histoire.
C’est un signal pour les Vichyssois. L’épaisse croix en carreau de verre du clocher de l’église Saint-Blaise surgit à 67 mètre au dessus des toits de la ville thermale. Tel un phare - elle est illuminée la nuit- elle annonce Vichy, située à l’extrémité orientale de la plaine de la Limagne, sur les rives Est de l’Allier. La croix et l’édifice portent également haut les couleurs de l’Art déco qui s’est épanouit dans la ville pendant l’entre-deux guerre. « On est alors en plein âge d’or de Vichy, après que Napoléon III a lancé la station thermale avec succès dans les années 1860. Dans les années 1920 et 1930, près de 130 000 curistes sont accueillis chaque année. Il faut bâtir une nouvelle église pour eux : ce sera Saint-Blaise, également appelée Notre-Dame des Malades, financée par les dons des curistes et des grandes familles vichyssoises » précise Fabienne Gelin, responsable du patrimoine pour la ville de Vichy, devant l’édifice signé Chanet et Liogier en 1931. Un peu à l’étroit au milieu des ruelles médiévales du plus vieux quartier de Vichy, Saint-Blaise donne le sentiment d’un jaillissement. Dôme renflé comme un bulbe, clocher étiré comme une tige, ses volumes en béton armé surprennent autant que son graphisme épuré. Au sommet de la coupole, yeux en amande et drapé stylisé, la statue de la Vierge est un modèle de dépouillement. « Le clocher hors-oeuvre aurait été inspiré par les campaniles transalpins découverts par Jean Liogier, l’un des deux architectes, lors de son voyage de noces en Italie » souligne Fabienne Gelin avant de nous guider vers l’intérieur et de guetter notre réaction. Un foisonnement de mosaïques, de vitraux et de peintures murales tranche avec la sobriété de l’extérieur. Le chœur, dans un écrin de colonnes en stuc de lapis-lazuli, réserve une surprise : il ouvre sur l’ancienne église Saint-Blaise chère aux Vichyssois pour sa vierge noire.
Style paquebot
Après cette entrée en matière, nos pas nous mènent naturellement vers le parc des Sources, proche et idéal pour comprendre comment le thermalisme a façonné Vichy. Dans les années 1920, l’architecture Art déco essaime dans une ville largement bâtie selon les canons de la Belle Epoque. Le cœur de Vichy est alors ce quartier thermal dessiné par des établissements de soins au nord et au sud du parc des Sources. Autour de cet espace vert ceinturé de galeries en fer forgé, les grands palaces que sont l’Aletti ou le Carlton, où séjournent gotha et curistes fortunés, arborent frises et décors sculptés. A l’extrémité sud du parc, l’opéra avec sa vaste marquise aux pétales de verre, a fait peau neuve en 1903 avec une nouvelle salle de concert dans un style Art nouveau. Enfin, les luxueuses villas entre le parc et l’Allier rivalisent d’extravagance, entre esprit néo-gothique, mauresque ou flamand. « L’Art déco va investir les nouvelles constructions qui accompagnent l’essor de la ville ou glisser son empreinte à la faveur de rénovations » explique Fabienne Gelin, annonçant un jeu de piste architectural sous l’ombre bienfaisante des platanes et des marronniers. Ainsi, à l’extrémité nord du parc, le pavillon métallique érigé au dessus des sources est orné, depuis la rénovation de sa toiture en 1928, d’une verrière Art déco, dont le jeu de volumes créé un saisissant effet 3D. Quelques centaines de mètres au sud du parc, l’hôtel des Célestins, désormais un collège, figure parmi les constructions Art déco les plus emblématiques. Bâti en 1925, ce monumental immeuble d’angle d’un blanc immaculé évoque, aidé par le bel ordonnancement de ses fenêtres, un paquebot fendant la mer de son étrave arrondie. Tout près, rue du maréchal Foch, le Petit Casino, haut lieu de divertissement du Vichy des années folles céde aussi à la mode de l’Art déco en 1928. Désormais centre culturel Valéry Larbaud, très largement transformé au cours du temps, il a conservé trois vitraux réalisés par Francis Chigot, maitre verrier limougeaud dont les œuvres ornent de nombreux édifices civils et religieux à travers le monde. Ici, dans l’escalier d’accès à la salle de spectacle, la lumière donne forme et force aux personnages géométriques des vitraux qui symbolisent la tragédie, la musique, et la comédie. Le tragédie fut bien présente dans ces lieux qui abritèrent dans les sous-sols, entre 1940 et 1944, un centre de détention de la milice de Vichy.
Notre visite se poursuit rue Salignat, devant l’immeuble joyeusement décoré de grès émaillé, avec oriel et fenêtres à pans coupés, élevé par les architectes de Saint-Blaise, Chanet et Liogier, pour héberger leurs bureaux. La Poste, fleuron de l’Art déco surgit au bout de la rue, au centre d’une place minérale écrasée par le soleil d’été. Une vaste rotonde inscrite entre deux pavillons symétriques frappe par son austérité. « La rotonde abritait un bureau d’été pour faire face à l’affluence saisonnière. L’architecte des Postes qui l’a conçu, Léon Azéma, avait obtenu le Grand Prix de Rome. Il a joué les contrastes entre les lignes verticales et horizontales, les droites et les courbes » souligne la responsable du patrimoine avant de nous faire toucher de la main le revêtement rugueux du bâtiment. « Du béton vibré et décapé contenant des gravillons de l’Allier. » Quand l’hôtel des Postes est bâti en 1935, il dispose d’un central téléphonique dernier cri permettant aux curistes de communiquer facilement avec l’étranger. Cet équipement constituera un élément décisif dans l’installation du gouvernement de Pétain à Vichy en 1940.
Bain de nature sur les rives de l’Allier
Quelques centaines de mètres au sud, le quartier de France, entièrement loti pendant l’entre deux-guerre, donne à voir la variété du vocabulaire Art déco dans une poignée de rues. Ici des ferronneries stylisées habillant portes et garde-corps, là une frise sculptée avec des motifs floraux, plus loin des bow-windows qui donnent du relief à une façade. Rue Jean-Baptiste Bulot, une maison mauve, des murs aux volets, hortensia compris, fait songer au quartier Art déco coloré de Miami Beach. Une ambiance balnéaire règne aussi à Vichy. Quelques minutes nous suffisent pour rejoindre les rives de l’Allier où des plages ont été aménagées. En surplomb, des parcs arborés équipés de pistes cyclables se succèdent en direction du Nord dessinant un croissant vert le long de l’Allier. On y croise de nombreux Vichyssois venus prendre un bain de nature. C’est Napoléon III qui avait fait endiguer la rivière en 1861 puis fait aménager un premier parc à l’anglaise à proximité des établissements thermaux et des chalets où il venait séjourner avec sa suite. Nous quittons les grands cèdres et séquoias du parc Napoléon III pour poursuivre notre promenade architecturale. Passons devant les thermes Les Dômes et leur grandiloquente architecture mauresque pour rejoindre la Maison du missionnaire, rue Moutier. « C’est une belle histoire » conte Fabienne Gelin devant la grande construction blanche enserrée dans des colonnes d’angles et barrée de l’inscription Béthanie. « La bâtisse de 40 chambres est commandée par le Père Henry Watthé, un lazariste rentré de Chine malade et guéri avec les eaux de Vichy. Soucieux de faciliter le séjour et les soins des missionnaires en cure, il fonde une association et collecte des dons qui financent en 1931 la construction de la maison. » Des bas reliefs représentant palmiers et pyramides rappellent l’Empire colonial qui a fourni un grand contingent de curistes, civils mais aussi religieux, à la ville. Le musée des arts d’Afrique et d’Asie attenant mérite d’ailleurs le détour avec sa petite collection de curiosités issue des donations des missionnaires et autres voyageurs.
C’est dans une demeure privée que s’achève notre découverte du Vichy Art déco. Sur les rives de l’Allier, René Jeux, un entrepreneur et figure majeure de l’industrie du divertissement à Vichy entre les années 1930 et 1980, fait construire sa villa aux lignes graphiques en 1936. « On raconte qu’il laissa un échafaudage pendant la guerre pour éviter qu’elle soit réquisitionnée » confie Paul Peronnet, son heureux propriétaire, dont la famille a toujours était liée à celle de René Jeux. Cet amoureux des arts nous dévoile l’intérieur de la maison et une de ses œuvres Art déco préférées : un bas relief stylisé d’un avion au soleil couchant. « Celui de Jean Mermoz, avec qui René Jeux partageait une solide amitié » précise-t-il. Celui qui a longtemps voyagé en Asie nous révèle la pièce la plus intime et originale de la demeure : une carte murale de l’Orient rêvé des voyageurs, des déserts d’Asie centrale aux temples du Japon, peinte à la main sur du contreplaqué par Max Moreau en 1942. Une œuvre sensible, loin du style Art déco mais qui rappelle combien Vichy cultivait un gout pour l’art et l’ailleurs.
texte de Florence Donnarel pour Détours en France
